lundi 28 janvier 2008

Mémoire de Master 1: Le traitement des notes de bas de page dans House of Leaves de M.Z. Danielewski (Introduction)


La note qu’elle soit de pied de page, de fin de chapitre, ou marginalia, fait partie de l’expérience courante de toute lecture, qu’il s’agisse d’un cadre littéraire, scientifique, ou encore quotidien. En effet on trouve très communément des appels de notes, le plus souvent explicatifs, dans des bons de commande, des formulaires quelconques. La note possède une histoire particulière qui n’engage pas dès le départ la littérature. Elle est originellement attachée à un usage érudit dans des ouvrages scientifiques et surtout historiques. La note de la tradition érudite a pour principale caractéristique de ne porter que sur une portion précise du texte ; elle a pour fonction de compléter de manière plus aiguë l’information, en apportant, par exemple, des remarques à propos de problèmes de définitions, ou encore des références bibliographiques. Gérard Milhe Poutingon les appelle « des auxiliaires de lisibilité »[1]. Une telle expression suggère à la fois leur aspect secondaire par rapport au texte principal, primaire, et un mode d’existence plus ou moins facultatif, d’accompagnement, d’ajout, d’aide. La note appartient à une tradition qui prône la clarté, la connaissance, elle posséderait alors un rapport très étroit au réel et à la vérité.

Une telle approche de la note semble l’opposer de manière ontologique au mensonge, à l’ellipse, à l’imagination et à la fiction. Ainsi un usage littéraire, et surtout romanesque, de la note ne semble pas aller de soi. Toutefois opposer de manière antithétique la fiction au réel revient à méconnaître la problématique même du statut d’un énoncé de fiction. Donner la vérité comme le contraire de la fiction, c’est assimiler cette dernière au mensonge ou au faux. Or l’énoncé fictionnel n’est pas cela, l’auteur ne prétend aucunement à ce qu’on le croie. Le roman tel qu’il nous parvient avec son appareil paratextuel (préface, titre, nom de l’auteur, et même notes) ne renie pas sa fonction d’objet fictionnel. Il est un objet de croyance –la croyance impliquant par définition même une concession par rapport à la réalité, le lecteur choisit de suspendre volontairement son « incrédulité », selon la thèse classique formulée par Coleridge. La mystification est provisoire et subie consciemment. L’intention de fiction est découverte grâce au paratexte qui nous montre le texte comme pure objet de création. Ainsi les critères de vérité et de fausseté cessent d’être pertinents dans un cadre fictionnel. S’interroger sur la fiction n’est pas s’interroger sur son rapport à la vérité, mais plutôt sur le Jeu que celle-ci opère avec son propre statut. La fiction est simulation, et conscience de cette simulation. Tout auteur romanesque ayant une réflexion métalittéraire sur sa propre œuvre s’interroge sur ce jeu, et Mark Z. Danielewski tout particulièrement.

Avec House of leaves[2], Danielewski crée un roman qui multiplie les fausses impressions de réel pour mieux s’interroger sur la fiction. Alors que le paratexte (ou texte pragmatique) est censé être le lieu où se dévoile l’intention de fiction, Danielewski joue avec ce dernier, le transformant en ce que Christine Montalbetti appelle des « signaux paradoxaux de la fiction »[3]. L’écriture résolument moderne de Danielewski, par son refus de toute appartenance à un genre précis, cherche avant tout à interroger et bousculer toutes les certitudes du lecteur en matière de limite et de définition. Roman d’horreur sans monstre ni fantôme, roman au centre duquel est un film qui n’existe pas, roman qui se met lui-même en scène par la fictionnalisation de son paratexte, House of leaves déborde toujours des cases dans lesquelles on veut le ranger. Le roman possèderait il, à l’image de la maison qu’il décrit, des dimensions intérieures bien supérieures à celles extérieures ?

La note est un enjeu central du roman de Danielewski, puisqu’elle participe à la réflexion métalittéraire qui préside à l’œuvre. En effet elle contribue à la remise en cause des limites entre fiction et réalité. Danielewski n’est pas le premier à se servir de la note dans un texte de fiction, des auteurs comme Lawrence Sterne dans Tristram Shandy, James Joyce dans Finnegans Wake, Vladimir Nabokov avec Pale Fire, N. Baker dans The Mezzanine, Bernard Pingeau dans Adieu Kafka, et d’autres encore, l’ont fait avant lui. Cependant House of leaves semble condenser de manière très aiguë la problématique d’un usage littéraire, fictionnelle, de la note. La note possède son propre passé, et quand bien même utilisée dans le cadre d’une œuvre littéraire, elle porte les stigmates de son histoire. Employer la note de manière littéraire pose le problème d’une certaine adaptation, amenant à des distorsions qui se font à la fois avec et contre son usage commun. La définir et l’employer de manière poétique devient dés lors problématique. Les différentes possibilités qu’offre la note sont alors déployées : entre hommage, parodie et exagération, elle est ici plus que jamais distordue, interrogée, poussée au-delà de ses propres limites. Une véritable vision poétique de la note naît de la différence entre la manière dont on la conçoit traditionnellement et la manière dont elle est utilisée dans House of leaves. Elle semble alors multiplier les entorses à sa propre définition. Devenue paradoxale, elle sort de sa position marginale et secondaire pour envahir le roman, engageant une lutte contre le texte auquel elle est hiérarchisée: ce qui semble à première vue insignifiant devient central, ce qui semble secondaire et annexe devient le lieu même où se construit le roman, ce qui habituellement pour le lecteur est le lieu de la vérité/réalité devient celui de la fiction. Toute tentative de définition et d’instauration de limite est rendue impossible et vaine : la note devient fictionnelle, et plus que jamais romanesque.

Nous nous intéresserons donc tout particulièrement ici au conflit inhérent à l’usage fictionnelle de la note dans House of leaves. Comment de ce conflit entre tradition érudite, expérience commune et usage fictionnel naît une réelle poétique de la note ? Comment la transcendance des définitions et limites, des règles qui lui sont propres, donne t’elle lieu à une véritable réflexion sur l’écriture de la fiction, comme sur la lecture? La modernité de la note de Danielewki ne réside d’ailleurs pas seulement dans la volonté de jouer de son passé, on verra à quel point son usage semble influencé par la culture moderne et particulièrement l’Internet. Dans House of leaves, les réponses ne semblent jamais données, les questions aboutissent le plus souvent sur des apories. C’est l’interrogation en elle-même et la remise en cause qu’elle sous tend qui compte alors. C’est pourquoi nous ne chercherons pas, ici, à apporter de réponses définitives, pas plus qu’à cataloguer la note telle que l’emploie Danielewski, mais nous essaierons plutôt de cerner l’usage qu’en fait l’auteur ; comment ce dernier Joue, car ce livre est un objet tout à fait ludique, avec les différentes acceptions d’usage de la note, et comment il la re-crée de manière à la faire participer intégralement à une poétique littéraire. Elle entre alors de plein pied dans la fiction et participe au travers d’une mise en page complètement originale, à la fois mimétique et métaphorique, à faire du roman un labyrinthe. Ainsi le labyrinthe, incarné par les notes tout au long du roman, n’est pas seulement un des thèmes centraux, il est la métaphorisation de cette culture moderne où rien n’est jamais certain, et où le foisonnement semble être la règle.


[1] Milhe Poutingon G., « Les notes marginales dans le Champfleury de Geoffroy Tory : des auxiliaires de lisibilité », L’Espace de la note, sldr J. Dürenmatt et A. Pfersmann, La Licorne, 2004, p 67.

[2] Mark Z Danielewski, House of leaves, second edition, Doubleday, 2000.

[3] Christiane Montalbetti, La Fiction, Corpus, GF Flammarion, 2001.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ce que tu dis là mets en appétit, on aurait envie de lire la suite !

Internet offre à ceux qui viennent de refermer House of Leaves des portails et des portails,
à vrai dire des portes, backdoors, doors,
des murs, wall and firewall
des fenêtres, windows
des ongles et des onglets.

Et puis des liens, et puis des sources
toute cette poésie de l'hypertexte qui
n'est pas sans rappeler une maison aux corridors infinis.

D'ailleurs c'est fini, le livre s'arrête difficilement à la dernière page. L'ordi prend la relève, comme un défi qu'on relève. Après avoir fini House of Leaves
comme on a envie d'écrire !


A propos de ces notes de bas de pages, ces bas dont les pages se parent dans le bouquin : n'en est-on pas conduit à la fin à lire... des deux yeux ?

devant deux textes en deux corps différents
(et c'est bien de corps qu'on pourrait parler ici !)
l'oeil droit et l'oeil gauche semble se distinguer
faut-il choisir
peut-on tout lire en même temps ?

mais n'est-ce pas le reflet de notre époque, de notre génération justement ?

sur cette ordinateur combien de fenêtres, combien de discussions, de forums, de walls, de galeries, d'antres et de moteurs ouverts en même temps.

J'écris, et je lis dix textes différents à la fois; c'est à peine si je ne regarde pas deux films en même temps ; l'esprit moderne du lecteur moderne est un mur de télévision branché sur les fenêtres du monde.

Alors pourquoi pas un récit s'échappant des bas de page, volant la vedette au texte du haut de bage
comme un maître du haut chateau,
c'est une déviation permanente

un affluant, ou un confluant
dans un ruisseau de conscience
une source
un delta quand les pages se couvrent d'articles à lire en tous sens

un tourbillon
quand il faut tourner et retourner le livre
comme une clef dans une serrure.




Je lisais plus haut ce que tu disais sur l'hypertexte.
Créer des liens c'est tout à fait cela.

Mais de la lettre à la la lettre
pour que cela fasse sens
de la lettre au mot
du mot à la ligne
de la ligne au paragraphe à la page à l'article colonne ou bloc,
encadré
pour que cela fasse sens
déjà,
combien de sutures, de soutures

invisibles
et rendues visibles dans les bouquins de cette grande baffe qu'est ce soir Danieleswki.

Pouvoir en jouir
savoir en jouer

ces sutures disparaissent dans l'écorce terrestre
ce sont les racines de l'Yggdrasil de la page finale

comment l'interprète tu cette figure de l'arbre
aussi fondamentale que cette maison


arbre, maison, mur, racine
ce sont là les pictogramme d'akkad
les cunéiformes, protéiformes
du tout début
non ?

voilà une histoire véritablement nouvelle, où respirent de vieux symboles.

Je viens de recevoir Only Revolutions par la poste amazonienne. Je suis sûr qu'il y aurait là sujet à correspondance.