mercredi 13 avril 2011

Pour un livre hybride (quatrième partie) : Le livre «Point Deux» : un Ipod de papier ?

Le 14 avril prochain, Emmanuelle Vial, responsable aux éditions du Seuil du secteur poche (la collection « Points») lancera en France « Point Deux », une nouvelle collection de livres au format tout à fait particulier. D’abord édité aux Pays-Bas en septembre 2009 et produit depuis peu en Espagne (au Royaume-Uni et aux Etats-Unis plus tard en 2011), un nouveau genre de mini-livre nous sera proposé. Son format est inédit : 8 cm par 12 cm, la moitié d’un livre de poche. Compact et léger, le texte y est imprimé sur du papier Bible opacifié. Ce livre qui loge dans nos poches a surtout la particularité de s’ouvrir avec la tranche en haut, un peu comme un calendrier. Les pages se lisent alors de la page du haut à la page du bas. Jouant de sa maniabilité, il s’agit pour « Point Deux» de prendre le livre de poche au pied de la lettre et de séduire un public majoritairement urbain, qui aime lire dans les transports en commun par exemple.

« Point Deux » prévoit de publier des livres pratiques et de la littérature. La maison d’édition est propriétaires des droits d'exploitation de ses titres pendant deux ans et demi. Les neuf premiers qui seront mis en vente sont :


Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer
Tout est sous contrôle de Hugh Laurie
Ce cher Dexter de Jeff Lindsay
La Route de Cormac McCarthy
Chronique de la haine ordinaire de Pierre Desproges
Le Poète de Michael Connelly
Des Vents Contraires d'Olivier Adam
La Cinquième Femme de Henning Mankell
Le Sens du Bonheur de Krishnamurti

Et dès mai-juin 2011, devraient s’ajouter entre autres :
Du côté de chez Swann de Marcel Proust, Les Visages de Jesse Kellerman, Les Chutes de Joyce Carol Oates, Patience dans l'azur de Hubert Reeves, et même Le nouveau testament. Les titres phares des éditions du Seuil se retrouvent ici.

Ce nouveau format possède des avantages : sa taille donc, mais aussi son sens de lecture qui s’avère assez confortable (même s’il ne l’est pas plus que nos livres habituels), ainsi que sa solidité. Toutefois le papier est si fin qu’il faut tourner les pages avec précaution. Autre point négatif, ces livres coûtent entre 9 et 14 euros, ce qui semble plutôt onéreux pour un si petit objet.


Pour mieux aborder cette « Révolution » éditoriale, il est intéressant de se pencher sur le site de la collection, dont voici une capture d'écran de la page d’accueil :



« Point Deux » propose donc à la fois le plus portable des livres et la révolution de son objet même. On ne le sait que trop, le contemporain aime les révolutions, celles-ci ont lieux constamment et en toutes occasions. Si l’on en croit les médias, nous vivons en permanence des changements majeurs et absolus ! Inutile de reprendre une énième fois la définition du dictionnaire du mot révolution pour juger du caractère peu bouleversant des livres présentés ici. Sinon un design intéressant par la perte de quelques centimètres et un sens de lecture modifié de 90 degrés, rien n’est fondamentalement révolutionnaire dans ces mini-livres.


Par contre, le paratexte éditorial qui entoure cet « événement » est tout à fait fascinant. Les éditions « Point Deux » veulent créer des livres à la mode et lient dès la page d’accueil leurs ouvrages avec le très populaire Dr House (Hugues Laurie). Au-delà de ce coté people, c’est un livre résolument inspiré par les nouveaux médias et qui serait capable de les concurrencer qui nous est offert. Ainsi, le nom de cette nouvelle collection fait référence à la culture Web. Après le Web 2.0, le livre « .2 » : une version améliorée du livre, le plus récent stade de son évolution. Si beaucoup d’éditeurs en ligne restent encrés dans la culture du livre, « Point deux » cherche à faire entrer le livre dans la cyberculture. Cette démarche est flagrante dans le petit clip vidéo de présentation :


La référence aux publicités Apple est explicite.



Même style de musique, de voix-off, même présentation sur fond blanc par quelqu’un dont on ne voit que les mains, même rythme, mais aussi même vocabulaire. Un champ lexical propre aux nouveaux médias est employé dans la vidéo de « Point Deux » : « revenir en arrière » « zoomer », « mettre en pause », « partager avec un ami ». Autant d’actions qui s’avèrent possible avec un livre et ne sont pas propres aux nouveaux supports de textes électroniques. e mot « application » notamment est présent dans les deux vidéos. Ce qui est mis en scène ici c’est la lutte du livre imprimé contre le monde électronique (que le sens dans lequel les pages sont tourné soit modifié e ne change rien, ce procédé étant plutôt de l’ordre du gadget). La parodie des publicités Apple est amusante quand bien même cette alternative au livre numérique semble limitée.


Si les Vooks ou Calaméo proposaient des formats numériques calqués sur la culture du livre, « Point Deux » présente une relation inverse : le livre au cœur de la culture numérique, influencée par ses modèles, ses modes de fonctionnement. Cependant nous avons bel et bien affaire à des livres : des pages de papier reliées. Les livres de « Point Deux » se veulent à la croisée des cultures entre influence de la cyberculture et résistance de l’imprimé face aux nouveaux médias. Le dossier de presse l’énonce clairement. « Point Deux » est une alternative de résistance pour le livre, une version améliorée, peut être même sa condition de survie ! Les adjectifs mélioratif foisonnent, nous avons affaire à un « Format inédit », « un sens de lecture révolutionnaire », « une reliure innovante », au « plus portable des livres ». Emmanuelle Vial ne lésine pas :

C’est une aventure exceptionnelle : celle d’un objet quotidien apparemment immuable qui se trouve soudain réinventé. La dernière fois qu’un tel événement s’est produit, c’était la naissance du livre au format de poche, il y a plus de 60 ans. C’est un livre, indiscutablement, et pourtant tout est différent. Il nous fera lire ailleurs, autrement, plus. Son originalité a la force de l’évidence, et passée la première surprise, il s’invite dans notre quotidien, s’impose sans qu’on y pense. C’est une réponse à la question que personne ne pose : à l’heure où le format numérique anime tous les débats, le livre en papier peut-il être amélioré, repensé, transformé ?» ( source : http://www.editionspoint2.com/multimedia/File/presse/Point2communiquedePresse.pdf)

L’éditrice cherche à conserver l’habitus culturalisé du livre tout en lui ajoutant le lustre du High-Tech. On retrouve chez « Point Deux » cette relation paradoxale, propre à la période de transition médiatique qui est la notre : entre conservation de la figure du livre et désir « révolutionnaire » par le recours à la culture numérique : « Avec Point Deux, le papier n’a pas dit son dernier mot ! » conclu le communiqué de presse. Il s’agit de conserver le public habitué au livre de poche tout en conquérant les digital natives.


Après Calaméo et les Vooks, notre recherche du livre hybride continue. « Point Deux » ne propose pas tant un livre hybride qu’un livre inspiré d’une culture hybride, une culture en mutation. « L’alternative » qu’elle propose est loin d’être aussi révolutionnaire qu’elle l’énonce ; toutefois, ce nouveau format peut s’avérer agréable à l’usage pour les lecteurs nomades.

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