dimanche 13 avril 2008

Du chaos domestique à l'impossible domestication du chaos dans House of Leaves de Mark Z. Danielewski

En cours de rédaction: un article pour la revue en ligne TRANS- dans le cadre du 6eme numéro: Ecriture et Chaos.


Du Chaos Domestique à l'impossible domestication du chaos
dans House of Leaves
de Mark Z. Danielewski

House of Leaves, le roman culte de Mark Z. Danielewski (2000), débute par les confessions de Johnny Truant, un antihéros que le hasard fait entrer en possession du manuscrit d'un vieil original nommé Zampano. Ce dernier a remisé dans une malle l'intégralité de son œuvre : un interminable essai, prodigalement annoté, portant sur un film qui n’existe pas: Le Navidson Record. Au centre de ce film est l’histoire du photoreporter Will Navidson et de son emménagement dans une maison qui s’avère posséder des dimensions intérieures supérieures à ses dimensions extérieures, et où des couloirs apparaissent, incitant les protagonistes à tenter des explorations.

La maison au cœur du roman peut apparaître sous bien des aspects chaotique. Elle est à la fois la figure d’un chaos mythique, puisqu’elle est le lieu de la désorientation et de la chute, et d’un chaos plus scientifique, dans la mesure où elle n’obéit à aucun déterminisme et semble incarner la théorie du chaos. La maison, ce dédale torturé, aux imbrications inextricables, contamine la structure et la typographie même du roman qui devient à son tour tout à fait chaotique. Il s’agira ici d’interroger comment l’auteur parvient à exprimer le chaos et comment, à vouloir décrire un objet chaotique, il laisse le langage et sa compréhension s’étioler au profit d’une réflexion sur l’état actuel de nos modes de connaissance.

Pour exprimer le chaos inhérent à son roman, Danielewski a recours à de multiples procédés d’écriture, eux-mêmes métonymiquement chaotiques et marqués par les nouveaux média. Ainsi, l’auteur crée une mise en page tout à fait originale, alternant trop pleins et vides. Il semble procéder à une «déterritorialisation» du texte, au sens deleuzien du terme, de même qu’à une délinéarisation à travers ce lieu privilégié que sont les notes de bas de page. Par cette fragmentation, il met en place une véritable esthétique du collage. En tant que centre de convergence, le collage crée des réseaux d’associations dans la compréhension. Il apparaît alors comme le symbole de l’aspect rhizomique et labyrinthique du roman. Cette figure du chaos qu’est la maison dans sa transcription textuelle, s’accompagne donc d’une expérience à la limite de la lisibilité. L’écriture chaotique de Danielewski prend le risque d’égarer le lecteur en confinant au non sens. D’autant plus qu’aux tentatives de désorientation du lecteur s’ajoute, via l’accumulation de références faussement érudites et de listes, une véritable déconstruction du langage et de la culture savante.

Ce chaos thématisé et traduit de manière typographique s’impose comme une métaphore du monde contemporain et de ses modes de connaissance. En effet, House of Leaves s’apparente à bien des égards à la Bibliothèque de Babel imaginée par Borges. Dans sa volonté de créer un roman à la fois chaotique et cosmogonique, Danielewski illustre le passage de la vision mythologique du chaos au chaosmos de Deleuze. Par son emploi subversif de l’érudition, il décrit le nouveau mode de connaissance qui est le nôtre, hautement influencé par la culture Internet.

Une nouvelle culture qui gère de façon efficace l’aléatoire, l’incertain et le passager ; une culture qui comprend les mouvements et les courants et pour laquelle la stabilité n’est pas un but à atteindre mais simplement un état précaire dont l’équilibre est nourri par le chaos.[1]

House of Leaves, dans sa complexité, devient alors l’incarnation du gouffre ontologique qui menace d’engloutir la société technologique du XXIe siècle, saturée d’informations.



[1] Dyens Ollivier, «Le Web et l’émergence d’une nouvelle structure de connaissance», Les défis de la publication sur le Web : hyperlectures, cybertextes et méta-éditions, coordonné par Jean-Michel Salaün et Christian Vandendorpe, collection « référence », presse de l’enssib, 2004, p. 213.

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