lundi 28 janvier 2008

Mémoire de Master 2 : House of Leaves de M.Z. Danielewski et l'hypertexte (introduction)

Le terme d’hypertexte a été employé pour la première fois en 1965 par Theodor Nelson. Ce dernier a découvert la capacité qu’avait l’ordinateur de créer et de gérer des réseaux textuels. Son projet : Xanadu, visait à créer une banque de données à laquelle tous les textes existant auraient été ajoutés, et où ils auraient été inter-reliés. Mais la paternité du concept d’hypertexte est le plus souvent attribuée à Vanevar Bush, dans son article intitulé « As we may think »[1]. Ce mathématicien propose une solution au problème de l’entreposage de l’information scientifique : le Memex –Memory extender– qui aurait permis de stocker, de consulter, d’annoter et de lier entre elles toutes les informations. Ce projet ne verra cependant, lui aussi, jamais le jour. Mais l’idée de Bush a su influencer ses successeurs jusqu’à la création du World Wide Web, ou Internet, qui permet à des milliers d’utilisateurs, dans le monde entier, d’accéder à des textes, ou hypertextes, non seulement pour en faire la lecture, mais également pour y intervenir en ajoutant des portions de textes et en créant de nouveaux liens. L’hypertexte est donc un texte composé de blocs de textes : un texte source et un texte cible, et des liens électroniques (hyperliens) qui les rattachent : « a text composed of block of words (or images) linked electronically by multiple paths, chains, or trails in an open-ended, pepetually unfinished textuality (...) »[2]. Mais la notion d’hypertexte est aussi employée en littérature, et notamment par Gérard Genette dès qu’il s’agit de « tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation simple [...] ou par transformation indirecte »[3]. Cependant l’hypertexte informatique reste différent de l’hypertexte littéraire. Selon Christian Vandendorpe, l’hypertexte informatique est plus proche de la notion d’intertexte puisque ce qui semble les caractériser tous deux est : « la perception par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d’autres qui l’ont précédées ou suivies »[4]. Mais intertexte et hypertexte ne se confondent pas pour autant, l’intertexte étant « un fait de lecture » et l’hypertexte « une construction informatique de liens et de textes »[5]. Il s’agit pour l’hypertexte d’effectuer un remaniement de la vision que le lecteur a du texte. « The use of hypertext system involves four kind of access to text and control over it: reading, linking, writing and networking »[6]. L’hypertexte favorise en effet une certaine interactivité qui rend le lecteur tout à fait actif dans sa lecture. Celui-ci doit activer des liens, lui permettant de se diriger d’un bloc de texte (lexie[7]) à l’autre. Et c’est effectivement dans la possibilité de cliquer sur des liens que réside la différence fondamentale entre l’hypertexte et le texte « classique » : « Linking is the most important fact about Hypertext, particularly as it contrasts to the world of print technology »[8].

On peut alors s’interroger sur les capacités du roman papier à créer lui aussi des liens. Si l’on se penche sur l’acte de lecture on se rend compte qu’il est constitué d’un système de liens mentaux : à chaque signifiant présent dans le texte le lecteur doit associer un signifié, choisissant parmi les sémènes contenus dans les différents mots afin de produire du sens. Le lecteur, à la suite d’un choix, active une signification : il crée un lien. Le réseau intertextuel, créé par les différents textes, ou au sein même des textes, est aussi une manière de produire des liens, une sorte de réseau. Il est donc intéressant de voir à quel point l’hypertexte peut, de manière rétrocritique, éclairer certains modes de fonctionnement des textes que l’on a jusque là qualifiés de « classiques ». Ce n’est que très récemment que les critiques se sont mis à établir une liaison directe entre les théories littéraires et les mises en œuvre pratiques de l’hypertexte :

« L’alliance est prometteuse, bien qu’elle suscite déjà deux orientations très différentes. L’une est l’adaptation des structures et du vocabulaire technique de l’hypertexte dans l’analyse littéraire ; ce qui est en accord avec les invasions successives de la critique par des discours extérieurs (...). L’autre direction est le développement d’un nouveau genre d’écriture, composé en hypertexte ou hypermédia plutôt que sous la forme traditionnelle de l’imprimé. »[9]

C’est donc à l’aune de l’hypertextualité que certaines œuvres peuvent être très judicieusement abordées. Ainsi des romans comme Ulysses de James Joyce ou la nouvelle de Jorge Luis Borges Le jardin aux sentiers qui bifurquent, sont aujourd’hui qualifiés de « proto-hypertextes » en tant qu’ils possèdent en germe le fonctionnement fragmenté, réticulaire et circulaire de l’hypertexte. La comparaison avec l’hypertexte permet donc de soulever de nouvelles problématiques quant à la poétique des textes. En ce qui nous concerne nous nous pencherons sur le non moins problématique cas de House of Leaves de Mark Z. Danielewski.

Ce roman parut en 2000, possède la caractéristique, contrairement aux proto-hypertextes d’avoir été écrit à l’heure de l’hypertexte. Le rapprochement avec ce dernier n’est pas seulement justifié par la date récente de parution, mais par l’histoire même de l’écriture du roman. Même si House of Leaves a été en premier lieu rédigé sur papier, Danielewski déclare: « Despite my pencil pride, there’s no question that technology does have influence not just on the production end of things but on the writting process as well. »[10] De plus le roman a été publié sur Internet au fur et à mesure de son écriture, avant d’être édité par Pantheon Book. Il s’agissait, pour Mark Z. Danielewski d’exposer plus facilement à la critique d’un plus grand nombre de ses amis les pages qu’il venait d’écrire. « Friends wanted to know what this book was that I had been writing, and it was expensive to print out and ship across the country to someone who might look at it and say, oh, seven hundred pages, I don't want to look at this. »[11]. Par le bouche à oreille, l’adresse Internet du roman s’est diffusée, au-delà de la volonté de l’auteur : obtenant ainsi un certain succès auprès des internautes. House of Leaves n’est pas pour autant une hyperfiction, c'est-à-dire une fiction écrite sur support informatique du début jusqu’à la fin et destinée à garder ce support (CD rom, ou mise en réseau sur Internet). Le roman, une fois fini, a été retiré du réseau pour être publié sous le format papier. Toujours est-il qu’Internet fait partie de la création du roman, et a été employé comme source d’inspiration par l’auteur. Danielewski possède la volonté de créer un roman hybride né de l’influence contemporaine de l’hypertextualité et de la forme traditionnelle du livre papier. C’est donc à l’aune de cette ambivalence entre texte papier et texte hypertextuel que nous tâcherons d’aborder House of Leaves : un livre imprimé à la mise en page complètement originale et au mode de fonctionnement fragmenté, non linéaire, et réticulaire, une œuvre résolument contemporaine qui remet en question toutes les habitudes de conception de la textualité. Le lecteur est ainsi amené à réfléchir sur la littérature dans son évolution actuelle et dans les nouvelles influences qui sont les siennes. L’hypertexte offre donc « un autre modèle intellectuel, une autre conception de la textualité »[12] que Danielewski exploite dans son roman.

Il s’agit pour l’hypertexte fictionnel et pour Mark Z. Danielewski comme nous tâcherons de le démontrer, de :

« (...) bouleverser les schémas culturels qui guident notre lecture de la fiction : plus de fin ultime, plus de but assigné, plus de direction dominante du parcours, plus de déroulement linéaire de l’intrigue ; à la place, à tous moments, une multitude de bifurcations disponibles, une construction en plans de profondeur, un kaléidoscope de scènes et de motifs. La diégèse devient un nuage de possibles narratifs, au lieu d’une chaîne logiquement réglée à partir de la fin.»[13]

Ainsi cette nouvelle technologie semble avoir le pouvoir de remettre en question nos conceptions de la textualité, et House of Leaves parait être le roman témoin de cette mutation. En effet l’œuvre de Danielewski semble donner les bases d’une nouvelle réflexion sur les capacités, les défauts de chacun des deux médias et des discours qui leur sont attachés. L’univers de House of Leaves, délibérément syncrétique, porte en lui les germes d'une nouvelle écriture. Une écriture dénuée de certitudes, où tradition et modernité se mélangent au profit d’une réflexion métalittéraire sur les nouveaux enjeux à donner à la littérature. « The computer is simply the technology by which literacy will be carried into a new age »[14]. Il s’agit donc pour House of Leaves de créer une nouvelle pragmatique du texte, influencée par l’hypertexte, l’histoire littéraire mais aussi la société contemporaine à laquelle elle appartient. Nous chercherons donc à cerner cette nouvelle poétique hybride du texte que l’on trouve chez Danielewski. C’est à l’aune de l’hypertexte et du livre imprimé que nous considérerons House of Leaves. La démarche particulière de comparer un roman papier au nouveau medium qu’est celui de l’hypertexte constitue en soi un mode de recherche particulier et hybride. Il est utile de clarifier ce terme qui est actuellement employé en lien avec des disciplines très différentes comme la biologie ou l’ethnographie.

« The term « hybrid» has been generalized to refer to any recognizable entity that is made up of elements drawn from multiple sources. A hybrid is of particular interest where its elements are derived from heterogeneous sources, or it is composed of elements of different or seemingly incongruous kind. »[15]

Il s’agira donc pour nous d’étudier comment House of Leaves se fait hybride en empruntant des éléments à la fois propres au livre et d’autres propres à l’hypertexte. Quel est l’apport en matière de textualité de cette hybridation entre hypertexte et roman papier ? Quel en est l’enjeu ? Quelles sont les conséquences d’une telle création en matière de conception littéraire? S’agit-il de pousser la littérature aux limites de sa potentialité, ou d’en créer de nouvelles non évaluées jusque là pour la littérature ?

Nous verrons que le rapport le plus flagrant entre l’hypertexte et House of Leaves réside dans la présence d’une structure commune dont les points de convergence sont la production de liens engendrant la création d’un réseau, et amenant à reconsidérer de manière nouvelle les relations existantes entre auteur et lecteur. L’étude d’un fonctionnement structurel commun au niveau textuel constitue une première base pour la comparaison de House of Leaves et de l’hypertexte. Le lecteur contemporain est enfant du multimédia, du jeu vidéo, du cinéma, où le mouvement, le changement, la pluralité règnent en maître. Avec l’avènement d’Internet, les intérêts sont mobiles, fugaces, le monde dans sa diversité est à portée de clic. House of Leaves témoigne, à travers sa textualité hybride, de cette culture cosmopolite et multimédiatique. Le roman intègre alors l’aspect multimédia propre à notre société en incluant à sa textualité le cinéma, la musique et l’image. Il exerce alors un acte de remédiation. Selon Bolter et Grusin[16], les médias s’approprient les techniques, les formes, les contenus des autres médias dans le but de rivaliser ou de les actualiser. L’étude de la remédiation intègre une forme de dialectique qualitative du médium : « Each new medium is justified because it fills a lack or repairs a fault in its predecessor, because it fulfills the unkept promise of an older medium.»[17] Le cas de House of Leaves apparaît alors particulier par son « anachronisme » : le livre remédiant des médias ultérieurs. Nous étudierons donc ce travail de remédiation opéré par Danielewski à travers l’étude de l’aspect multimédia du texte et de la réflexion en matière de jeu médiatique qui lui incombe. Le roman a en effet tout à fait conscience de l’acte de remédiation qu’il propose, intègre, thématise et parodie. House of Leaves est formellement un hybride en même temps qu’il met en lumière un discours sur l’hybridité. On s’interrogera alors sur l’enjeu de la création d’un tel hybride en matière de conception de la textualité et sur la place à donner a un tel roman dans « l’écologie » médiatique et littéraire contemporaine. Il s’agira de considérer les enjeux littéraires de l’hypertexte afin de comprendre ceux de la création d’un roman hypertextuel imprimé. L’hypertexte selon certains critiques comme MacLuhan, Landow[18], Negroponte[19], incarne la mort du livre. Cependant le roman de Danielewski met à mal l’utopie hypertextuelle en se montrant capable d’intégrer les mêmes caractéristiques que ce média. Il s’agit alors pour le roman de célébrer de manière dialectique et paradoxale les fonctions hypertextuelles dans un livre. Le medium livre est ainsi élevé à la hauteur des attentes du lecteur contemporain au même titre que l’hypertexte. L’hybridation de House of Leaves en fait une œuvre en accord avec la culture de son époque : celle des œuvres artistiques performatives et de la cyberculture.



[1] Vannevar Bush, « As we may think », The Atlantic monthly, Juillet 1945.

[2] « Un texte composé de blocs de mots (ou images), liés électroniquement par de multiples chemins, chaînes, ou pistes, dans une textualité ouverte, sans cesse inachevée », George P. Landow, Hypertext 2.0 –The convergence of contemporary critical theory and technology, The John Hopkins University Press, Baltimore & London, 1997, p.3.

[3] Gérard Genette, Palimpseste, Seuil, 1982, p.14.

[4] Christian Vandendorpe, Du papyrus à l’hypertexte essai sur les mutations du texte et de la lecture, édition Paris : la découverte, 1999, p.32

[5] Ibid, p.45.

[6] « L’usage d’un système hypertextuelle implique quatre types d’accès au texte et de contrôle sur ce dernier: la lecture, le lien, l’écriture, et l’établissement d’un réseau de relation », George P. Landow, Hypertext 2.0 –The convergence of contemporary critical theory and technology, The John Hopkins University Press, Baltimore & London, 1997, p.285.

[7] Le mot “lexie” est emprunté à la terminologie de Barthes.

[8] « Le lien est fondamental en ce qui concerne l’hypertexte, tout particulièrement parce qu’il contraste avec le monde de l’imprimé », George P Landow, « What’s a critic to do ? Critical theory in the age of Hypertext » Hyper/Text/Theory, Sldr. George P. Landow, The John Hopkins University Press, Baltimore and London, 1994, p.6.

[9] Paul Delany, « L’ordinateur et la critique littéraire : du Golem à la textualité Cybernétique », Littérature, édition Larousse, n°96, Déc. 1994, p.12-13.

[10] « En dépit de ma fierté envers le crayon, il est indéniable que la technologie a influencé non seulement le mode de production, mais aussi le processus d’écriture », Mark Z Danielewski, Haunted House, An Interview with Mark Z. Danielewski, Conducted by Larry McCaffery and Sinda Gregory, Critique 44, 2003.

[11] « Des amis voulaient savoir en quoi consistait ce livre que j’étais en train d’écrire. Et il aurait été cher d’imprimer le livre et de l’envoyer à l’autre bout du pays à quelqu’un qui allait peut être le regarder et dire : oh sept cents pages, je ne vais pas lire ça ! », Mark Z Danielewski., Profile, by Eric Wittmershaus:

http://www.flakmag.com/features/mzd.html

[12] Jean-Louis Lebrave, « Introduction », Genesis, n°5, Jean-Michel Place- Archivos, 1994, p.7.

[13] Jacques Fontanille, Critique de la lecture informatique, Université de Limoges, 2003,

www.arts.uottawa.ca/astrolabe:articles/art0012. htm

[14] « L’ordinateur est simplement la technologie grâce à laquelle la littérature sera conduite vers une nouvelle ère », Jay David Bolter, Writing space: the computer, hypertext, and the history of writing, Hillsdale, N. J: Lawrence Erlbaum, 1991, p.237.

[15] « Le terme « d’hybride» a été généralisé pour se référer à toute entité reconnaissable qui est constituée de plusieurs éléments provenant de multiples sources. Un hybride possède un intérêt particulier quand ces éléments dérivent de sources hétérogènes, ou quand il est compose d’éléments différent ou paraissant incongrus. », Roger Clarke, « Hybridity –elements of a theory», Ars Electronic 2005, Hatje Cantz, 2005, p.30.

[16] Jay David Bolter et Richard Grusin, Remediation: understanding new media, MIT Press, Cambridge (Massachussettes) et London, 2000.

[17] Ibid, p.60.

[18] George P. Landow, Hypertext 2.0 –The convergence of contemporary critical theory and technology, The John Hopkins University Press, Baltimore & London, 1997

[19] Nicholas Negroponte, Being Digital, New York Vintage, 1995.

Mémoire de Master 1: Le traitement des notes de bas de page dans House of Leaves de M.Z. Danielewski (Introduction)


La note qu’elle soit de pied de page, de fin de chapitre, ou marginalia, fait partie de l’expérience courante de toute lecture, qu’il s’agisse d’un cadre littéraire, scientifique, ou encore quotidien. En effet on trouve très communément des appels de notes, le plus souvent explicatifs, dans des bons de commande, des formulaires quelconques. La note possède une histoire particulière qui n’engage pas dès le départ la littérature. Elle est originellement attachée à un usage érudit dans des ouvrages scientifiques et surtout historiques. La note de la tradition érudite a pour principale caractéristique de ne porter que sur une portion précise du texte ; elle a pour fonction de compléter de manière plus aiguë l’information, en apportant, par exemple, des remarques à propos de problèmes de définitions, ou encore des références bibliographiques. Gérard Milhe Poutingon les appelle « des auxiliaires de lisibilité »[1]. Une telle expression suggère à la fois leur aspect secondaire par rapport au texte principal, primaire, et un mode d’existence plus ou moins facultatif, d’accompagnement, d’ajout, d’aide. La note appartient à une tradition qui prône la clarté, la connaissance, elle posséderait alors un rapport très étroit au réel et à la vérité.

Une telle approche de la note semble l’opposer de manière ontologique au mensonge, à l’ellipse, à l’imagination et à la fiction. Ainsi un usage littéraire, et surtout romanesque, de la note ne semble pas aller de soi. Toutefois opposer de manière antithétique la fiction au réel revient à méconnaître la problématique même du statut d’un énoncé de fiction. Donner la vérité comme le contraire de la fiction, c’est assimiler cette dernière au mensonge ou au faux. Or l’énoncé fictionnel n’est pas cela, l’auteur ne prétend aucunement à ce qu’on le croie. Le roman tel qu’il nous parvient avec son appareil paratextuel (préface, titre, nom de l’auteur, et même notes) ne renie pas sa fonction d’objet fictionnel. Il est un objet de croyance –la croyance impliquant par définition même une concession par rapport à la réalité, le lecteur choisit de suspendre volontairement son « incrédulité », selon la thèse classique formulée par Coleridge. La mystification est provisoire et subie consciemment. L’intention de fiction est découverte grâce au paratexte qui nous montre le texte comme pure objet de création. Ainsi les critères de vérité et de fausseté cessent d’être pertinents dans un cadre fictionnel. S’interroger sur la fiction n’est pas s’interroger sur son rapport à la vérité, mais plutôt sur le Jeu que celle-ci opère avec son propre statut. La fiction est simulation, et conscience de cette simulation. Tout auteur romanesque ayant une réflexion métalittéraire sur sa propre œuvre s’interroge sur ce jeu, et Mark Z. Danielewski tout particulièrement.

Avec House of leaves[2], Danielewski crée un roman qui multiplie les fausses impressions de réel pour mieux s’interroger sur la fiction. Alors que le paratexte (ou texte pragmatique) est censé être le lieu où se dévoile l’intention de fiction, Danielewski joue avec ce dernier, le transformant en ce que Christine Montalbetti appelle des « signaux paradoxaux de la fiction »[3]. L’écriture résolument moderne de Danielewski, par son refus de toute appartenance à un genre précis, cherche avant tout à interroger et bousculer toutes les certitudes du lecteur en matière de limite et de définition. Roman d’horreur sans monstre ni fantôme, roman au centre duquel est un film qui n’existe pas, roman qui se met lui-même en scène par la fictionnalisation de son paratexte, House of leaves déborde toujours des cases dans lesquelles on veut le ranger. Le roman possèderait il, à l’image de la maison qu’il décrit, des dimensions intérieures bien supérieures à celles extérieures ?

La note est un enjeu central du roman de Danielewski, puisqu’elle participe à la réflexion métalittéraire qui préside à l’œuvre. En effet elle contribue à la remise en cause des limites entre fiction et réalité. Danielewski n’est pas le premier à se servir de la note dans un texte de fiction, des auteurs comme Lawrence Sterne dans Tristram Shandy, James Joyce dans Finnegans Wake, Vladimir Nabokov avec Pale Fire, N. Baker dans The Mezzanine, Bernard Pingeau dans Adieu Kafka, et d’autres encore, l’ont fait avant lui. Cependant House of leaves semble condenser de manière très aiguë la problématique d’un usage littéraire, fictionnelle, de la note. La note possède son propre passé, et quand bien même utilisée dans le cadre d’une œuvre littéraire, elle porte les stigmates de son histoire. Employer la note de manière littéraire pose le problème d’une certaine adaptation, amenant à des distorsions qui se font à la fois avec et contre son usage commun. La définir et l’employer de manière poétique devient dés lors problématique. Les différentes possibilités qu’offre la note sont alors déployées : entre hommage, parodie et exagération, elle est ici plus que jamais distordue, interrogée, poussée au-delà de ses propres limites. Une véritable vision poétique de la note naît de la différence entre la manière dont on la conçoit traditionnellement et la manière dont elle est utilisée dans House of leaves. Elle semble alors multiplier les entorses à sa propre définition. Devenue paradoxale, elle sort de sa position marginale et secondaire pour envahir le roman, engageant une lutte contre le texte auquel elle est hiérarchisée: ce qui semble à première vue insignifiant devient central, ce qui semble secondaire et annexe devient le lieu même où se construit le roman, ce qui habituellement pour le lecteur est le lieu de la vérité/réalité devient celui de la fiction. Toute tentative de définition et d’instauration de limite est rendue impossible et vaine : la note devient fictionnelle, et plus que jamais romanesque.

Nous nous intéresserons donc tout particulièrement ici au conflit inhérent à l’usage fictionnelle de la note dans House of leaves. Comment de ce conflit entre tradition érudite, expérience commune et usage fictionnel naît une réelle poétique de la note ? Comment la transcendance des définitions et limites, des règles qui lui sont propres, donne t’elle lieu à une véritable réflexion sur l’écriture de la fiction, comme sur la lecture? La modernité de la note de Danielewki ne réside d’ailleurs pas seulement dans la volonté de jouer de son passé, on verra à quel point son usage semble influencé par la culture moderne et particulièrement l’Internet. Dans House of leaves, les réponses ne semblent jamais données, les questions aboutissent le plus souvent sur des apories. C’est l’interrogation en elle-même et la remise en cause qu’elle sous tend qui compte alors. C’est pourquoi nous ne chercherons pas, ici, à apporter de réponses définitives, pas plus qu’à cataloguer la note telle que l’emploie Danielewski, mais nous essaierons plutôt de cerner l’usage qu’en fait l’auteur ; comment ce dernier Joue, car ce livre est un objet tout à fait ludique, avec les différentes acceptions d’usage de la note, et comment il la re-crée de manière à la faire participer intégralement à une poétique littéraire. Elle entre alors de plein pied dans la fiction et participe au travers d’une mise en page complètement originale, à la fois mimétique et métaphorique, à faire du roman un labyrinthe. Ainsi le labyrinthe, incarné par les notes tout au long du roman, n’est pas seulement un des thèmes centraux, il est la métaphorisation de cette culture moderne où rien n’est jamais certain, et où le foisonnement semble être la règle.


[1] Milhe Poutingon G., « Les notes marginales dans le Champfleury de Geoffroy Tory : des auxiliaires de lisibilité », L’Espace de la note, sldr J. Dürenmatt et A. Pfersmann, La Licorne, 2004, p 67.

[2] Mark Z Danielewski, House of leaves, second edition, Doubleday, 2000.

[3] Christiane Montalbetti, La Fiction, Corpus, GF Flammarion, 2001.

Le livre et sa textualité à l’épreuve des nouveaux médias: Portrait d’une hybridation littéraire contemporaine


Le livre, lieu de nombreuses convergences, a été particulièrement affecté par l’avènement des nouvelles technologies, et ce dans tous les domaines (marketing, édition, esthétique, poétique…) On ne peut plus concevoir le livre de la même façon qu’il y a 20 ans. En effet, il se retrouve depuis quelques années aux prises avec une évolution qui affecte l’ensemble de notre société et dans laquelle il joue un rôle prépondérant, à la fois précurseur, acteur, bénéficiaire ou victime selon les avis. Le succès et l’utilisation croissante des nouvelles technologies dans notre société, en particulier d’Internet, ont eu pour effet de modifier les schémas de réception des lecteurs, comme les schémas créatifs des auteurs. Il s’agira donc d’étudier de quelle manière cette évolution a eu un impact sur le livre et sur la textualité en général.

Il semblerait que nous appartenions à une société où l’hybridation est omniprésente dans plusieurs domaines à la fois sociaux, politiques, biologiques et artistiques. Ce terme ambigu et si souvent utilisé semble résolument appeler à une définition précise. L’hybridation est ainsi communément employée dans bon nombre de disciplines (biologie, physique, art, sociologie...). Cependant, si on trouve aujourd’hui bon nombre d’études scientifiques, cinématographiques ou artistiques sur les effets des nouvelles technologies, très peu de travaux ont été réalisés sur les hybrides littéraires.

L’hybridation n'est pas un objet en soi, mais correspond à l'action de transformer et de modifier à la fois les objets, les outils mais aussi les pratiques littéraires qui nous étaient jusque là familières. Je m’attacherai donc en premier lieu à décrire et contextualiser les notions d’hybrides et d’hybridation dans toute leur interdisciplinarité afin d’embrasser tout ce que ce concept implique d’ambiguïtés et de paradoxes. Ce premier mouvement devrait constituer une base de réflexions et de définitions nécessaires pour aborder ensuite l’hybride littéraire dans toutes ses particularités. Il s’agira ainsi d’analyser de manière précise un corpus de textes français, américains et québécois fictionnels et récents, publiés sous forme de livre : comme P.A de Renaud camus (1997), 72 (2002) et Tokyo (2005) d’Eric Sadin, Corpus Simsi de Chloé Delaume (2003), House of Leaves de Mark Z. Danielewski (2000)... L’observation précise des œuvres apparaît en effet indispensable et complémentaire à l’appareil théorique et historique pour analyser les objets et saisir les différents types d’hybridation en jeu. Le but de l’étude de ces oeuvres est de parvenir à la création d’une typologie de ces hybrides, d’analyser leurs modes de fonctionnement et les mutations littéraires dont ils procèdent. Tout cela implique finalement la création d’outils d’analyse spécifiques à cette nouvelle littérature.

Ce projet de thèse conduit aussi à s’interroger sur les implications de l’existence de ces textes hybrides sur les conceptions littéraires comme sur leur étude. Tout au long de ce travail de recherche, il s’agira de s’interroger sur l’avenir du livre et de la littérature en général : des questionnements indubitablement contemporains que la recherche littéraire ne saurait, selon moi, ignorer sous peine de se scléroser et de s’éloigner de plus en plus de la société sans cesse en mutation qui est la nôtre.

Curiculum Vitae

Formations et diplômes:

  • 2007- Aujourd’hui: doctorante et allocataire de recherche en littérature comparée en cotutelle entre L'université de Poitiers, France et l'Université du Québec à Montréal, Canada. Sous la direction de Denis Mellier (laboratoire FoReLL) et Bertrand Gervais (laboratoire NT2).
  • 2007: Master de Lettres Modernes à l'université de Poitiers et en échange à l'Université de Saint John New Brunswick (Canada). Mémoire de recherche sur House of Leaves de Mark Z. Danielewski et l'hypertexte, sous la direction de Denis Mellier.
  • 2006: Maîtrise de Lettres Modernes à l'université de Poitiers et en échange ERASMUS à l'Université de Manchester (Angleterre). Mémoire de recherche: Le traitement des notes de bas de page dans House of Leaves de Mark Z. Danielewski, sous la direction de Denis Mellier.
  • 2005: Licence de Lettres Modernes à l'université de Poitiers.
  • 2002-2004: Hypokhâgne et Khâgne au lycée Camille Guérin à Poitiers.
  • Juin 2002: Baccalauréat série littéraire au Lycée de la Venise Verte à Niort.

Colloques et journées d’étude :

  • 22 août 2011 : « Pour une littérature Cyborg : hybridation médiatique du texte littéraire », L’Imaginaire, 9ème Congrès international sur l’étude des rapports entre textes et images (IAWIS/AIERTI), Axe : Esthétiques numériques, Montréal, Canada.
  • 2 Juin 2010 : cosignataire de la communication de Bertrand Gervais « Le flux : pour une définition des esthétiques numériques », Colloque international du SDH-SEMI, Congrès de l’ACFAS, Montréal, Canada.
  • 11 Juin 2009 : communication lors du colloque: Le jeu vidéo, au croisement du social, de l'art et de la culture, à Limoges. Lire le jeux vidéo, jouer à la littérature : Corpus Simsi de Chloé Delaume
  • 30 avril 2009 : communication lors du colloque international du NT2 : Histoire et Archives, à Montréal. Petit recadrage terminologique et historique : Le proto-hypertexte et l’hypertexte.
  • 27 Février 2009 : communication lors du colloque étudiant : Les représentations du livre et des métiers du livre dans la fiction, organisé par le GRELQ à l’université de Sherbrooke, Canada. Evolution et résistance : Présences du livre dans House of Leaves de Mark Z. Danielewski.
  • 4 avril 2008 : communication lors de la journée d’étude sur Mark Z. Danielewski à l’université de Poitiers, France. Truant, G@rp et moi : Le lecteur modèle et House of Leaves

Publications :

  • À Paraître : « Éditer, publier et écrire 2.0 : Persistance de la culture du livre sur Internet », Le livre, « Produit culturel »? Stratégies éditoriales, de l’imprimé au texte électronique, Sldr. Gilles Polizzi et Anne Réach-Ngô, L'Harmattan, collection Orizons.
  • Printemps 2011 : en collaboration avec Bertrand Gervais, « Esthétique et fiction du flux. Éléments de description », Protée, Vol.39, n°1, Université du Québec à Chicoutimi.
  • Juin 2010 : Publication de « Lire le jeu vidéo, jouer à la littérature : Corpus Simsi de Chloé Delaume dans question de communication », Les jeux vidéo au croisement du social, de l’art et de la culture, Sldr. Sylvie Craipeau, Sébastien Genvo et Brigitte Simonnot, Presses universitaires de Nancy, 2010, 244 p.
  • 5 janvier 2010 : Publication d’un dossier thématique sur « Le flux », intitulé Go With the Flow, pour le site du laboratoire NT2, cosigné avec Bertrand Gervais : http://www.labo-nt2.uqam.ca/recherches/dossier/le_flux
  • 19 octobre 2009 : Publication dans la revue Salon Double (http://salondouble.contemporain.info/lecture/139) : Game Over : Dieu Jr. de Dennis Cooper.
  • Printemps 2009 : Publication dans la revue Posture (UQAM) : Folie marginale et marginaux fous : le traitement des notes de pages dans House of Leaves de Mark Z. Danielewski.
  • Décembre 2008 : Publication de la note de recherche : Sympathy for the Devil: Art and Rock and Roll depuis 1967, Musée d'art contemporain de Montréal, 10 octobre 2008 au 11 janvier 2009, dans la rubrique Vu… du site Internet de la chaire de Recherche Réné Malo. http://www.chairerenemalo.uqam.ca/index.php?id=207
  • Juillet 2008 : publication dans le n°6 de la revue électronique Trans : Du chaos domestique à l'impossible domestication du chaos dans House of Leaves de Mark Z. Danielewski. http://trans.univ-paris3.fr/spip.php?article289
Édition:
  • 11 avril 2011 : en collaboration avec Grégory Fabre, "Arts, technologies et relations hybrides", un dossier dirigé pour la revue Spirale:, n°236,Montréal.

Organisation :
  • 2009-2010 : Membre du comité organisateur du lancement de la revue bleuOrange et de la soirée de performances hypermédiatiques, le 24 avril 2010.
  • 2009 : Membre du comité organisateur du colloque du NT2 Histoire et Archives, du 30 Avril au 2 Mai, à Montréal.
  • 28 Février 2009 : Participation à l’organisation de l’évènement hypermédiatique City Speak en collaboration entre le laboratoire NT2 et Jason E Lewis, lors de la Nuit Blanche à Montréal.
  • Avril 2008: Organisation avec Samuel Archibald de la journée d’étude sur Mark Z. Danielewski à l’université de Poitiers. le 4 avril 2008.